MARIOTTE
Sous-marin
Photo : http://www.navires-14-18.com
1 citation à l’ordre de l’Armée
Le sous-marin MARIOTTE, commandé par le Lieutenant de Vaisseau FABRE, a coulé le 26 juillet 1915 dans les Dardanelles qu’il voulait franchir pour gagner la mer de Marmara.
Texte de la citation à l’ordre de l’Armée
(Journal officiel du 5 décembre 1919)
« Le sous-marin MARIOTTE : coulé dans les Dardanelles au cours d’une mission de guerre des plus périlleuses ».
Rapport du Lieutenant de Vaisseau FABRE, commandant le MARIOTTE
Quitté le mouillage de Moudros le 25 juillet 1915 à 6 heures du soir. Fait une plongée en rade extérieure pour vérifier le bon fonctionnement de tous les appareils. Resté en plongée pendant un quart d’heure environ. La plongée donne des résultats satisfaisants. Fait route sous l’escorte d’un torpilleur sur Seddulh-Bahr où nous arrivons vers 11h30. Amarré à l’arrière du contre-torpilleur POIGNARD. Fait deux heures de charge autonome pour compléter la charge des batteries. Il fait un clair de lune superbe et le temps est très calme. A 3h12, le 26 juillet, largué l’amarre du POIGNARD, fait route pour les détroits en contournant à vue la pointe de Seddulh-Bahr à la distance de 400 mètres environ. Les routes que nous devons suivre ensuite, tant en surface qu’en plongée ont été soigneusement repérées sur la carte d’après les indications puisées dans les rapports des commandants de sous-marins anglais ayant déjà remonté les détroits. Fait d’abord route au nord 48 E. avec un seul moteur, les ballasts centraux remplis de façon à diminuer la silhouette du bateau. Longé la côte d’Europe à la distance de 200 à 300 mètres environ. Après avoir dépassé le ravin de Souan-Déré, plongé à 8 mètres à 4h08 pour ne pas être découverts par un projecteur qu’on vient d’allumer, mais qui n’est pas encore braqué sur nous. Venu de 2° sur la droite après avoir remarqué que le courant nous portait trop près de la côte d’Europe. D’après les indications de la carte et notre vitesse soigneusement calculée, nous devons sortir du champ de mines à 5h30. A 4h45, plongé à 25 mètres à l’entrée du champ de mines ; aucun incident à signaler pendant la plongée à 25 mètres. Le bateau gouverne d’une façon parfaite avec des angles de 10° à l’avant et à l’arrière. A 5h30, décidé de prolonger la plongée pendant 5 minutes pour être sûr d’avoir dépassé le champ de mines. A 5h34, choc à l’avant comme si on touchait par fond mou ; ordre de prendre l’immersion à 10 mètres pour voir où nous sommes et pour déterminer la cause de cet incident. Dès le début de la remontée, le moteur tribord prévient que son disjoncteur vient de sauter ; le moteur bâbord que son intensité monte considérablement. Le bateau prend une pointe positive de 15° et une bande sur tribord de 13 à 14° ; l’immersion au centre est de 13 mètres et ne bouge sensiblement plus. La pointe et la bande diminuent progressivement et se fixent, la pointe à environ 8° et la bande sur tribord à 3 ou 4°. Essayé de mettre le moteur tribord en marche, le disjoncteur saute toujours. Essayé de venir à gauche toute pour retourner à Sedulh-Bahr afin de dégager l’hélice tribord, le cap ne varie que de 15 à 20°. Essayé de venir à droite toute, même résultat. Nous sommes donc tenus par l’avant et par l’arrière et il nous est impossible de revenir à Sedulh-Bahr. Décidé de chasser l’arrière pour nous rendre compte de la nature de l’obstacle qui nous retient. Cette chasse de l’arrière est d’ailleurs utile pour éviter que les moteurs électriques ne soient touchés par l’eau qui s’est accumulée dans leur compartiment depuis que nous avons de la pointe et qui provient des infiltrations au cours de la plongée à 25 mètres. La chasse du ballast arrière ne produit son effet que très tard, puis brusquement le bateau vient en surface, montrant le haut du kiosque qui est canonné immédiatement par une batterie turque placée près de Chanak-Kalé et dont nous nous trouvons à moins de 200 mètres. Je vois au périscope que nous avons une mine à tribord avant, à toucher la coque. Donné l’ordre de replonger aussitôt. La plongée est très lente, faute de vitesse et le kiosque est percé par les projectiles ennemis ; la partie supérieure de la manche d’aération arrière est décapitée. Considérant le bateau comme perdu, stoppé la plongée, donné ordre de mettre les collets de sauvetage. Détruit les documents secrets et confidentiels pendant que l’équipage rend inutilisable les moteurs électriques en y mettant le feu, les accumulateurs en les mettant en court-circuit et les moteurs diesel en brisant tous les appareils fragiles. Ouvert le kiosque pendant qu’on ouvre les purges du drain, les vannes des deux bouteilles, les purges intérieures des ballasts centraux et ensuite des ballasts avant et arrière. La batterie de Chanak-Kalé continuant de tirer sur nous pendant ces opérations, envoyé l’Enseigne de Vaisseau MASSON sur le pont pour que, par signes, il fasse cesser le feu de la batterie ennemie. Les Turcs cessent le tir aussitôt. Fait évacuer le bâtiment ; l’évacuation se fait dans le plus grand ordre et le plus profond silence. Le patron GOULAIN et l’Enseigne de Vaisseau BOSSY restent les derniers à bord avec moi pour vérifier si toutes les vannes indiquées en vue de couler le bâtiment ont bien été ouvertes.
La conduite du personnel a été digne de tous les éloges. La mise hors de service du matériel, une fois l’évacuation décidée, a été faite dans chaque compartiment sous la direction des officiers et des gradés. Ainsi que je l’ai dit plus haut, l’ordre a régné jusqu’au dernier moment, aucun indice de panique ne s’est manifesté, aucune bousculade pour quitter le bateau. L’équipage au contraire a fait preuve de la plus belle crânerie. C’est ainsi que, les Turcs ayant envoyé une chaloupe pour recueillir le personnel et notre équipage étant rassemblé dans cette embarcation, lorsque je monte sur le pont, j’ai l’immense satisfaction d’être salué par les cris de « Vive la France » et « Vive le Commandant ».
Signé : A. FABRE